Aujourd’hui je voudrais lever le voile sur une grande mystification. Pour beaucoup de jeunes journalistes la situation à Paris est loin d’être idéale, du coup la tentation d’aller s’établir en pigiste à l’autre bout du globe apparaît comme un eldorado.
Je le dis simplement puisque c’était exactement pour mon état d’esprit à peine quelques semaines après mon retour des Etats-Unis en France. Après une dizaine de propositions de sujets pour 100% Mag, un nombre incalculable d’envois de CV, et une bonne poignée de rendez-vous totalement infructueux –bien que sympathiques- dans des boites de prod ou des chaines, je m’étais rendue à l’évidence : il n’y avait rien pour moi dans cette ville, personne ne m’avais attendue (quelle surprise !), et peu importe mes efforts pour me vendre comme rédactrice télé expérimentée et bilingue : personne n’en avait rien, mais alors vraiment r.i.e.n., à carrer.
C’est très difficile de ne pas le prendre personnellement. Surtout quand on a l’impression d’avoir fait un certain nombre de sacrifices pour être formé dans de bonnes écoles, pour étoffer un parcours de stages exotiques et/ou sexys, et tout simplement pour être un bon professionnel.
Plus les gens sont gentils, plus on finit par se dire qu’ils sont en fait condescendants. Plus les gens sont désagréables, plus on finit par se dire que le milieu est pourri. Plus les gens te propose des offres indécentes (« et si tu travaillais gratuitement pour moi pendant six mois ? »), plus on perd espoir en l’humanité. Bref tout pousse à devenir un gros con paranoïaque et aigri.
Ces mois de recherches de piges à Paris m’ont rendue complètement débile, et très rapidement j’ai voulu repartir à l’étranger, où je savais que ce ne serait pas évident, mais où, au moins, je pouvais espérer ne pas évoluer dans le même marigot mou.
Je suis donc arrivée en Inde bien décidée à « make it happen ». Mais en fait, là encore, peu importe la bonne volonté qu’on peut y mettre : personne ne vous attend. Breaking news : aucun rédacteur en chef ne se réveille le matin en se disant : « Ah j’aimerais tellement recevoir une proposition d’article sur l’Inde aujourd’hui ! ».
Je savais que ce serait plus ou moins difficile, mais je ne m’attendais pas à une telle traversée du désert. Pour voir le bon côté des choses, s’éloigner de Paris permet de s’éloigner d’une forme de compétition malsaine entre jeunes loups du journalisme, et donc de reprendre du poil de la bête. Eviter les éternels « tu bosses pour qui ? », suivi d’un regard désolé s’il ne s’agit pas d’une chaîne hertzienne : un soulagement sans égal. La contrepartie, c’est la solitude profonde du pigiste qui depuis son salon, même baigné de lumière mumbaikare n’a personne à qui confier que cet énième retour de mail « désolé, on n’a plus de budget pige étranger» est comme une décapitation.
Pourtant il y a bien des raisons de s’accrocher. Je parlais avec un journaliste du Figaro avant de venir en Inde ; ancien grand reporter, il a utilisé l’expression de « SuperPigiste » pour décrire les téméraires qui partent s’installer sous des cieux exotiques et font des reportages pour plusieurs médias. L’avenir de la profession selon lui. Encourageant.
Je trouve aussi très inspirant les témoignages qu’a rassemblé Anaïs Llobet sur son blog. Je trouve encore plus inspirante la conversation que j’ai eu cet après-midi avec mon copain Nicolas R. (que vous aviez pu croiser ici). Il est correspondant à Kaboul, et c’est l’homme-jackpot. Il bosse bien et pour tout le monde. Il est le parfait exemple du SuperPigiste.
Il m’a sortie de mon isolement en me racontant ses propres déboires. Je voulais donc le remercier publiquement, mais aussi écrire tout ça pour que si un jour un journaliste hyper déprimé en Ouganda ou en Colombie britannique se sent seul, il puisse tomber sur ce blog et savoir que : it gets better.