Sifflons en travaillant

Je suis étonnée que personne n’ait encore écrit de livre de conseils de vie pour les gens qui travaillent en indépendant, bien souvent depuis chez eux.

On pourrait même consacrer un ouvrage spécifique aux couples dans cette situation –au hasard, le mien.

Les questions sont quotidiennes et pourtant restent sans réponse :

–       Comment deux personnes aux biorythmes radicalement opposés peuvent-elles cohabiter ?

–       Je pense qu’il faut faire des listes pour être efficaces et productifs, comment peut-on ne pas être d’accord avec ça ?

–       Faut-il partager les chargeurs de téléphone portables ? Faut-il le faire alors que les techniques de rangement de câbles s’opposent dans leurs principes comme dans leur esthétique ?

–       Comment travailler dans un appartement dans lequel il n’y a pas de table ? et encore moins de bureau ?

Et ainsi de suite.

 

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Je t’aime moi non plus

Avant d’arriver à Bombay, j’avais parlé avec un rédacteur en chef du service international d’un très grand quotidien national. Il m’avait –comme tous les journalistes de ce genre- raconté ses aventures sur le terrain. J’en suis très friande, surtout quand elle date d’une autre ère : on dirait toujours que n’importe qui pouvait pitcher n’importe quoi à n’importe quel titre et partir à l’aventure Leica en bandoulière, avant de récolter lauriers et salaire. Au détour de l’une de ses conversations, il m’avait dit qu’en Inde : « on trouve une histoire à chaque pas, à chaque coin de rue » (je cite de mémoire). Evidemment j’étais très enthousiaste à cette idée.

Concernant le flot continu de sujets de reportage en Inde, j’ai d’abord fait l’expérience d’un phénomène assez déroutant.

Parfois je tombe sur une histoire qui se transforme en os à ronger, et je m’entête bêtement dessus. Par exemple : la communauté LGBT en Inde. L’homosexualité a été re-pénalisée en décembre, et je pensais que c’était vraiment une bonne idée de reportage. Je la propose à tour de bras aux médias, mais personne n’en veut. Je me suis obstinée sur ce sujet mais je n’ai toujours pas réussi à le vendre… D’autres fois, je mise sur des idées de reportage qui me semblent presque douteuses, mais qui plaisent davantage. Le tout relève de la sorcellerie à mes yeux.

Ce qui est certain c’est qu’il est inutile d’essayer de comprendre les choix des rédacteurs en chef – même si c’est très tentant.

Il y a donc tout un tas de reportages qui restent morts nés. Au bout d’un certain temps, on a même l’impression d’avoir fait le tour de ce qu’il était possible de couvrir en Inde, sans avoir convaincu personne…

Alors que j’étais un peu désenchantée quant à ma relation avec les rédacteurs en chefs –je trouve mes sujets supersexys et ils ne répondent pas à mes mails : frustration, j’ai pris un petit café avec un jeune photographe indien qui a déployé en une heure plus de 80 idées de reportages tous plus différents les uns que les autres : exotiques, mystiques, politiques, mignons, concernant, segmentant, hipster, grand public, féminins, sociaux, aventureux,… Cette profusion créatrice m’a rappelé le rédacteur en chef à Paris, et remis sur de bons rails pour entamer ce que j’appelle « la guerre du pitch », qui consiste à bombarder les rédactions de propositions de sujets à la chaine, dans des mails boostés par des points d’exclamations et des formules de VRP – le tout en croisant les doigts et les orteils.

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De l’art de se tourner les pouces

Même si j’apprécie des blogs sérieux sur la vie de pigiste comme celui des Incorrigibles, ou des blogs moins sérieux comme Pigistes de l’extrême, je dois dire qu’un sujet fondamental y est négligé.

Comment réussir à se motiver pour travailler alors qu’on peut se mettre de la crème pour les mains pendant une heure, jouer à Fruit Ninja (avant la crème pour les mains, sinon c’est compliqué), et regarder House of Cards… ?

Je n’ai pas encore trouvé la réponse… Je sais pourtant que je vais bientôt rentrer à Paris, et devoir affronter des interrogatoires sur ce que j’ai fait de mon temps, où j’ai publié, et ce que je compte envoyer comme reportage pour être sélectionnée pour le prix Albert Londres, mais je suis tombée malade de paresse, et il semble impossible désormais (en tous cas: aujourd’hui) de sortir de l’état apathique du mollasson professionnel*.

 

*Sauf évidemment quand je joue à Fruit Ninja, auquel cas c’est un peu comme prendre du crack, et en plus c’est gratuitement.    

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Grosse fatigue

Vis ma vie de pigiste : zéro énergie après avoir écrit juste deux papiers… Comme je le disais hier, je crois que j’ai encore pas mal de boulot avant d’être aussi à l’aise que les journalistes installés dans le rythme de pigiste internationaux depuis dix ans.
Je retiens néanmoins les choses suivantes:
– il faut éviter d’avoir la même deadline pour deux gros papiers,
– il faut confirmer, re-confirmer, re-re-re-confirmer le prix d’une pige avant d’envoyer quoi que ce soit.
– il faut classer ses notes dans le bus interminable qui te ramène chez toi, et même commencer à écrire ton papier, plutôt que d’être à la cool pendant 36h et s’apercevoir de l’ampleur du travail à H-12 du rendu.

C’est tout pour aujourd’hui.

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SOS amitié-pigiste

Aujourd’hui je voudrais lever le voile sur une grande mystification. Pour beaucoup de jeunes journalistes la situation à Paris est loin d’être idéale, du coup la tentation d’aller s’établir en pigiste à l’autre bout du globe apparaît comme un eldorado.

Je le dis simplement puisque c’était exactement pour mon état d’esprit à peine quelques semaines après mon retour des Etats-Unis en France. Après une dizaine de propositions de sujets pour 100% Mag, un nombre incalculable d’envois de CV, et une bonne poignée de rendez-vous totalement infructueux –bien que sympathiques- dans des boites de prod ou des chaines, je m’étais rendue à l’évidence : il n’y avait rien pour moi dans cette ville, personne ne m’avais attendue (quelle surprise !), et peu importe mes efforts pour me vendre comme rédactrice télé expérimentée et bilingue : personne n’en avait rien, mais alors vraiment r.i.e.n., à carrer.

C’est très difficile de ne pas le prendre personnellement. Surtout quand on a l’impression d’avoir fait un certain nombre de sacrifices pour être formé dans de bonnes écoles, pour étoffer un parcours de stages exotiques et/ou sexys, et tout simplement pour être un bon professionnel.

Plus les gens sont gentils, plus on finit par se dire qu’ils sont en fait condescendants. Plus les gens sont désagréables, plus on finit par se dire que le milieu est pourri. Plus les gens te propose des offres indécentes (« et si tu travaillais gratuitement pour moi pendant six mois ? »), plus on perd espoir en l’humanité. Bref tout pousse à devenir un gros con paranoïaque et aigri.

Ces mois de recherches de piges à Paris m’ont rendue complètement débile, et très rapidement j’ai voulu repartir à l’étranger, où je savais que ce ne serait pas évident, mais où, au moins, je pouvais espérer ne pas évoluer dans le même marigot mou.

Je suis donc arrivée en Inde bien décidée à « make it happen ». Mais en fait, là encore, peu importe la bonne volonté qu’on peut y mettre : personne ne vous attend. Breaking news : aucun rédacteur en chef ne se réveille le matin en se disant : « Ah j’aimerais tellement recevoir une proposition d’article sur l’Inde aujourd’hui ! ».

Je savais que ce serait plus ou moins difficile, mais je ne m’attendais pas à une telle traversée du désert. Pour voir le bon côté des choses, s’éloigner de Paris permet de s’éloigner d’une forme de compétition malsaine entre jeunes loups du journalisme, et donc de reprendre du poil de la bête. Eviter les éternels « tu bosses pour qui ? », suivi d’un regard désolé s’il ne s’agit pas d’une chaîne hertzienne : un soulagement sans égal. La contrepartie, c’est la solitude profonde du pigiste qui depuis son salon, même baigné de lumière mumbaikare n’a personne à qui confier que cet énième retour de mail « désolé, on n’a plus de budget pige étranger» est comme une décapitation.

Pourtant il y a bien des raisons de s’accrocher. Je parlais avec un journaliste du Figaro avant de venir en Inde ; ancien grand reporter, il a utilisé l’expression de « SuperPigiste » pour décrire les téméraires qui partent s’installer sous des cieux exotiques et font des reportages pour plusieurs médias. L’avenir de la profession selon lui. Encourageant.

Je trouve aussi très inspirant les témoignages qu’a rassemblé Anaïs Llobet sur son blog. Je trouve encore plus inspirante la conversation que j’ai eu cet après-midi avec mon copain Nicolas R. (que vous aviez pu croiser ici). Il est correspondant à Kaboul, et c’est l’homme-jackpot. Il bosse bien et pour tout le monde. Il est le parfait exemple du SuperPigiste.

Il m’a sortie de mon isolement en me racontant ses propres déboires. Je voulais donc le remercier publiquement, mais aussi écrire tout ça pour que si un jour un journaliste hyper déprimé en Ouganda ou en Colombie britannique se sent seul, il puisse tomber sur ce blog et savoir que : it gets better.

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