Expression libre

Je n’arrive pas à arrêter de lire. Je me gave d’informations sur les terroristes, les nouvelles de l’enquête, les tribunes de ceux qui n’iront pas manifester, les tweets de ceux qui veulent que tout le monde fasse la paix, les témoignages des victimes, des proches des victimes, le discours de tel imam, telle personnalité littéraire sans rapport direct avec l’histoire,… Je pourrais d’ailleurs lire encore pendant des semaines tant le monstre continue à nourrir. Je réfléchis à ce que je vais écrire moi – mais j’ai l’impression de ne pas y voir bien clair. Pas assez pour exprimer des idées.

Pour ceux qui doivent réagir publiquement sur le moment –du porte-parole de RSF à la maire de Paris, ça ne doit pas être évident. Pour les proches des 20 personnes qui sont mortes, harcelés par les médias, ce doit être encore plus dur.

Je ne sais pas ce que je veux écrire, mais ce qui est certain, c’est que quand je lis les nouvelles, les récits des attentats, j’ai vraiment envie de pleurer. Comme beaucoup j’imagine, cette histoire me prend aux tripes et touche quelque chose de très sensible.*

C’est le paradoxe : il y a tellement d’émotions et de confusion dans l’air que je vois mal comment on peut penser dire ou écrire quelque chose d’intelligent sans prendre le temps de se poser quelques questions. Tout le monde parle, partage, évacue son chagrin. Parce qu’on est triste, on a besoin de parler. Mais on ne peut rien expliquer quand on est triste.

Bref, quand je vois certains se pavaner sur les réseaux sociaux avec des selfies à la manif, des annonces vengeresses, ou quand des éditorialistes ont le verbe facile et les trémolos aussi synthétiques que la doublure de la blouse de tante Marcelle, je me dis qu’il faut pardonner à tous ces bavards. Ils ont besoin de vomir quelque chose. Ils déblatèrent. Beaucoup – comme moi- perdent leur temps à les lire ou à les écouter. Plus tard, on réfléchira.

*Quoi? La sécurité? La nation? La paix? La peur?

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Au turbin

Je lisais ce papier assez perturbant sur la culture du petit boulot étudiant en Angleterre. Tout y est vrai :

  • Oui, il y a davantage de foires à l’emploi dans les pays anglo-saxons, et c’est peut-être mieux organisé
  • Oui, l’idée qu’un étudiant travaille est davantage admise dans ces mêmes pays,
  • Oui, on part du principe qu’il faut davantage protéger les étudiants en France, et leur permettre de se concentrer justement, sur leurs études.

Mais il y a quelque chose qui m’a mise mal à l’aise… Je ne sais pas si c’était les questions un peu lourdingues sur la difficulté de concilier travail et études, ou le côté un peu naïf de l’écriture. J’ai en tous cas réfléchi à ce qu’il en était en Inde.

Je vais schématiser.

En Inde il est relativement rare qu’un étudiant fasse un « petit boulot » à faible valeur intellectuelle ajoutée en parallèle à ses études. Il y a beaucoup de main d’œuvre en général, et les jeunes ayant accès aux études supérieures sont plus souvent ceux qui n’ont pas la nécessité de travailler pour subvenir à leurs besoins, ou à ceux d’un foyer.

En France, de plus en plus de gens ont accès à une formation supérieure. Ils viennent de milieux très variés, et certains ont donc véritablement besoin de travailler en parallèle à leurs études. Ce n’est jamais très bien vu. Les boulots sont d’ailleurs rarement pensés pour les étudiants (flexibilité, périodes de partiels, vacances universitaires,… tout ça est peu pris en compte). On a donc lu de plus en plus ces dernières années des portraits de jeunes obligés de travailler pour pouvoir étudier, mais qui ne pouvaient pas étudier correctement puisqu’ils travaillaient –entre autres histoires sur le logement étudiant, les boursiers, et j’en passe.

Il est possible d’adapter des petits boulots, notamment des boulots de service aux étudiants. Il me semble être une bonne chose que les étudiants travaillent pendant leurs études quand c’est possible. Une société qui donne une place aux étudiants dans le monde du travail est sûrement une société qui permet aux jeunes de se confronter à une activité qu’ils n’exerceront pas plus tard, et éventuellement à des gens qu’ils n’auraient pas côtoyés autrement. Le petit boulot étudiant pourrait être un outil de brassage social.

Pour le moment ce n’est pas encore tout à fait le cas en France, et la problématique de l’accès aux études supérieures et les politiques qui concernent l’enseignement supérieure représente une pente savonneuse qui n’a pas grand chose à faire sur ce blog. En revanche, ce papier de blog du Monde me fait réaliser à quel point bon nombre des Indiens que je connais n’ont aucune expérience même dans des enseignes haut de gamme, dans des fonctions d’assistanat, comme baby-sitter ou je ne sais quoi. Pourtant mes amis n’incarnent pas tout à fait la jeunesse dorée bombayite. Ils sont le plus souvent issus de la classe moyenne urbaine indienne. Leur méconnaissance des corvées de petites mains est souvent liée à une forme de mépris plus ou moins verbalisée.

Ca pose une dynamique de la société indienne – à nuancer, évidemment.

 

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Film critic

Vous avez vu les affiches de Sex Tape ? Cameron Diaz et Jason Segel veulent retrouver leur vie sexuelle de jeunes gens, ils tournent une sex tape, elle se retrouve sur un cloud : c’est le stress.

Bon, comme je parlais de modernité hier, on y est : sexe, cloud, iPad, revenge porn, YouPorn et tout ce que vous voulez, tout y est.

Le film est bien sorti en Inde, avec à peine plus de quatre minutes censurées. Un de mes sites d’actualité préféré, Scroll, en fait la critique et explique que ce n’est pas parce qu’on parle de YouPorn qu’on est lol.

Qu’on se le dise, en Inde : YouPorn, pimenter ta vie de couple après la naissance de bébé, ou retrouver des vidéos compromettantes sur un cloud : c’est déjà-vu.

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L’enfant roi

En rentrant à l’école de journalisme, le travail de recherche académique m’a un peu manqué… Je me disais que si un jour je reprenais mes études, je plancherais bien sur une problématique des trente glorieuses (comme tous les sujets de thèse résumés, ça aurait pu donner : « Les Francs-Maçons dans les Trente Glorieuses » autant que « L’électroménager dans la France des années 60 »: du fun, du fun, du fun).

Comme des tas de gens, je trouve cette époque passionnante : euphorie et consumérisme, libéralisation et libération, création et abrutissement… Il y a un peu de nostalgie, mais je crois qu’il y a surtout une forme de fascination pour le côté « avance rapide ».

Je retrouve l’élément « vitesse grand V* » à Bombay, où « tout-va-vite-c’est-fou-l’energie-des-gens-dans-cette-ville-bullshit-bullshit-bullshit » ça grouille de partout certes, mais surtout, un nouveau truc est inventé tous les jours. La mode change très vite. Les canons sociétaux sont en pleine mutation, pour de vrai : hier on n’imaginait pas qu’une jeune femme puisse vivre seule, aujourd’hui on loue des apparts à de jeunes indiennes sans (trop) se poser de questions. Evidemment, il faut relativiser ces évolutions rapides de la société : parfois elles sont vraies pour une certaine partie de la population, parfois seulement dans les villes, voire dans certains quartiers de certaines villes (donc en fait ça concerne cinq personnes finalement mais bon, ça dit quelquechose quand même, non?).

Il reste que les choses changent vite : par exemple, c’est le tout début du street art dans le pays. Pour la première fois en fait, il y a une véritable contre-culture, dans la rue, qui se forme en Inde, avec des références cosmopolites mais principalement indiennes. C’est une sorte de Movida indienne en gros, dont l’émergence d’une culture street art (parce que le street art ça existe depuis Lascaux) fait partie.

Bon ça, c’est un exemple. Un autre exemple, « socio-démographique » s’il en est, c’est ce papier.

Quand je pense que quand j’étais petite, j’avais un jeu qui représentait des familles du monde entier, et la famille indienne c’était une ribambelle d’enfants qui travaillaient (au lieu d’aller à l’école : trop de chance les mecs)… ce genre de papier me fait sourire.

Même s’il y a encore des milliers d’enfants des rues à Bombay, de très jeunes personnes qui travaillent dans des usines pourries, de parents qui pensent que le « female foeticide » (avortement sélectif) n’est pas une mauvaise chose, ou simplement qu’à moins de trois enfants, on ne peut pas parler de fratrie, les choses changent en profondeur.

 

*Oh la richesse du monde des synonymes!

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L’enfer c’est les autres

Parfois je me dis vraiment que même si je ne vis pas dans un squat, c’est difficile d’assumer mes choix de vie : je n’ai pas de salaire fixe, je n’ai pas d’employeur, je n’ai pas de spécialisation,… D’ailleurs on peut même dire que personne ne comprend trop ce que je fais, ni pourquoi. Plus personnellement, je vis à l’étranger sans statut d’expatrié, et je suis depuis longtemps avec un mec qui n’a l’air de trop vouloir officialiser le truc.

Je ne trouve rien d’ahurissant là-dedans. En fait: j’adore ma vie. Mais j’ai du mal à affronter le regard de personnes ayant des existences plus normées. Je ne sais pas s’ils sont vraiment méprisants, ou condescendants, ou si je suis en train de devenir paranoïaque (et peut-être même folle).

Ce que ça vous fait la chaleur hein… Pas bon ménage avec l’introspection.

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Marions-les

L’autre soir je prenais un verre avec une copine et elle me parlait de ce thème ô combien capital dans le babillage des jeunes femmes indiennes, je vous le donne en mille : LE MARIAGE !

Je voulais en parler depuis un moment sur le blog mais en fait c’est plutôt compliqué. Difficile de comprendre exactement ce qui se passent dans la tête des tourtereaux, des parents, et de la famille. Encore plus complexe quand on sait qu’il y a des différences énormes entre « métros » (les grandes villes), plus petites villes, et campagnes. Aussi je me garderais bien d’émettre un avis définitif sur la question, mais certaines des remarques que j’ai entendues lors de cette conversation méritent qu’on s’y arrêtent.

 

  • « Au final, 80% de la décision (de se marier) revient à mes parents et/ou à la société, et pas vraiment à moi » : quand elle m’a dit ça j’étais vraiment surprise. C’est dans ce genre de petits détails qu’on mesure le « choc culturel ». Pour une jeune femme issue de la bourgeoisie intellectuelle, née dans les années 80 en France comme moi, le mariage est quelque chose de non obligatoire et vient d’une démarche profondément personnelle. Mais pour elle, qui vient exactement du même milieu, et appartient à la même génération que moi, le mariage est quelque chose de résolument social. Elle me disait –sans s’assombrir- qu’elle se marierait pour ses parents, et qu’eux-mêmes s’intéressent à son mariage pour des questions de réussite sociale.
  • « Les castes ne sont pas tellement un problème » : même s’il a précisé que ça dépendait beaucoup des régions,  elle m’expliquait qu’être contre un mariage inter-castes c’était un peu comme afficher une superstition pour une grande parties des élites intellectuelles. Du coup, ses parents se soucient moins de la caste de son futur promis que du fait qu’ils préféreraient éviter qu’elle épouse quelqu’un d’une autre religion. Et là, elle a ajouté que c’était un peu comme la réticence de parents européens libéraux qui marieraient leur fille à un noir ou un asiatique. Voir le succès de Mais Qu’est Ce Qu’on A Fait Au Bon Dieu.
  • « La drague, c’est très très compliqué » : si j’ai bien compris ce qu’elle me disait, si un mec est intéressé par une fille, il la regarde, il se tient près d’elle, lui fait des compliments s’il est audacieux, et… c’est tout ! Du coup le pourcentage de succès d’une telle technique me semble assez faible. Il y a un type dans son bureau qui fait quelques uns de ces trucs, mais elle n’a pas vraiment moyen de savoir si c’est un hasard, si elle se fait des films, ou si il est vraiment intéressé… Comparé à mes copains célibataires à Paris qui ne se posent pas trop de questions sur le processus de séduction, et pensent que danser avec quelqu’un en boite a plus de 50% de chances de permettre un coït, je me demande quel est le stratagème le plus hasardeux.
  • « Du coup, le mariage arrangé n’est pas tellement un problème » : c’est assez logique. Si c’est si difficile de savoir qui est intéressé, que c’est compliqué de témoigner de son intérêt pour quelqu’un, autant qu’on te présente des fiches de mecs qui cherchent la même chose que toi : se marier.
  • Je note au passage que comme le mariage arrangé est dépassionné, ça évite –en partie- les petits coups de blues des déconvenues amoureuses. Ses parents lui ont présenté un mec bien comme il faut, un Indien –évidement- qui travaille en Allemagne. Ils ont skypé pendant plusieurs semaines, et finalement ont eu ce que les Américains appellent « the talk ». Le mec a fini par lui dire qu’elle n’était peut-être pas si proche de ce qu’il attendait. Et alors qu’elle s’était un peu emballée, c’est retombé aussi facilement qu’un soufflé.
  • « Les filles dans ma situation, moi comprise en fait, ont se comporte comme si on était un peu en panique face à cette échéance matrimoniale, mais en réalité on y attache moins d’importance qu’on le laisse penser » : tout est dit ! C’est bien pour les autres, pour la société qu’il faut montrer une inquiétude qui n’est pas toujours réelle. Je n’émets aucun jugement, je trouve ça juste hyper-intéressant de voir que des choses qui pourraient être universelles soient en réalité si fondamentalement différentes !

 

J’ai une super bonne amie qui vit à Londres. Elle ressemble un peu à Fifi Brindacier, mais en blonde. Ou a Betty Boop mais en blonde toujours. Du coup, elle ressemble plus à Bibi Fricotin peut-être. Bref, quelques mois après s’être installée on parlait des dynamiques de dates à l’anglais comparées aux pratiques outre-Atlantique. Je me rends de plus en plus compte qu’il y a aussi un dating à l’Indienne.

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Cross-cultures

J’ai travaillé sur ce portrait de starlette avec un trentenaire qui a sa propre boite de production à Bombay, et qui aime beaucoup Doc Gynéco –j’espère découvrir qu’il n’est pas le seul Indien dans ce cas pour pouvoir faire un article sur ce sujet déroutant.

On a beaucoup parlé pendant les longues heures d’attente imposées par le tournage, une caméra cassée, des coupures d’éléctricité etc. C’était très instructif.

Ce mec a donc monté sa boite, il réalise aujourd’hui des films publicitaires –y compris avec des célébrités de premier plan et/ou pour de grandes marques nationales. Son père a monté une agence de voyage. Pour des raisons qui m’échappent, il est très difficile de réserver par soi-même des billets de trains en Inde, et plus généralement, les Indiens sont assez friands de visites organisées, donc le business est florissant. L’homme avec qui j’ai travaillé a passé quelques années à New York où il a étudié, puis il est rentré en Inde où il a travaillé à la télévision, avant d’avoir sa propre affaire. Il a de l’expérience et il est passionné par ce qu’il fait puisqu’il m’a même dit qu’il ne se voyait pas faire autre chose, et que peu importent les difficultés qu’il avait rencontrées, il n’avait jamais eu envie d’abandonner.

Vous avez maintenant une idée assez précise du tableau. Ce qui est étonnant, c’est que plus son père vieillit, plus notre homme se demande quand il reprendra l’agence de voyage. Je lui ai demandé si ses motivations étaient financières, il m’a répondu que non, mais qu’il ne peut pas laisser ce que son père a construit s’effondrer.

Pour résumer… Le mec aime ce qu’il fait, peut en vivre, n’a aucun intérêt, aucune aptitude à gérer une agence de voyage, mais il va le faire pour plaire à ses parents et/ou respecter leur oeuvre. Je marche sur des oeufs mais je pense qu’on peut dire qu’il va renoncer à sa carrière pour accomplir une sorte de destinée familiale.

L’organisation de la société indienne est très centrée sur la famille, ce n’est pas nouveau. La révolution post-moderne de l’individualisme est en marche ici, surtout dans une grande ville cosmopolite et riche comme Bombay, mais je réalise seulement maintenant la lenteur du processus.

Il m’a dit qu’il ne voudrait pas que son fils prenne la même décision que lui, mais qu’en ce qui le concernait, même s’il ne pouvait vraiment expliquer rationnellement son choix, il sentait que c’était la bonne chose à faire. Comme une sorte d’impératif qui le dépasse. Je ne juge absolument pas ce mec, mais je suis fascinée par ce côté « forces gouvernantes supérieures ».

On peut parler de Doc Gynéco et de rap français et sentir une proximité insoupçonnée. Et puis sans qu’on s’y attende, les plaques tectoniques culturelles se mettent en branle, et quelque chose de très palpable nous différencie.

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Pow Wow

Les amis de mes amis ici sont pour beaucoup des entrepreneurs sociaux. Bien souvent cette charge vient avec son lot d’idéologie bisounours. Qu’on apprécie les regards reconnaissants d’enfants des rues ne me pose aucun problème. En revanche je ne comprends pas bien le besoin systématique d’exprimer ses sentiments, son ressenti,… Le collectif et l’individu sont sur-valorisés de la même manière, et cette tension constante entre écouter son individualité et vouloir à tous prix la faire partager me semble assez paradoxal.

Quoiqu’il en soit, cette mode conduit à des situations cocasses, et j’étais hier soir témoin d’un flagrant délire amusant.

F. fait des t-shirts en coton organique, produits de manière équitable, etc… Alors qu’il s’apprête à quitter Mumbai où il a vécu trois ans, ses amis ont organisé une fête surprise.

Assez rapidement, il est question de rendre les choses « participatives ». Tout le monde doit s’asseoir par terre façon conseil des sages indiens (d’Amérique). Une amie de F. demande à chacun de raconter un souvenir impliquant l’homme du jour. Elle interpelle X ou Y en insistant pour qu’ils racontent une histoire. Malheureusement la sauce ne prend pas. Et c’est F. lui même qui passera plus d’une bonne heure à raconter ses souvenirs avec chaque personnes présente –qui, elles, somnolent, repues. L’initiatrice du cercle de parole tire la tronche.

Ca ne fonctionne pas à tous les coups.

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