Puisque c’est Halloween

Parmi les jeunes gens indiens de Bombay il y a une tribu qui mérite qu’on parle d’elle : les Born Again Américains.

J’avais bien remarqué qu’il y avait un paquet de jeunes prompts à utiliser des expressions du type “bro” et autres “dude”… Mais Kinder Boy, mon colocataire -né à Cleveland- a mis en lumière un phénomène bien plus consistant.

Prenez un ado. Pas n’importe lequel.

Prenez un ado qui a grandi en ville, n’importe qu’elle mégalopole du monde, qui a été -au moins un peu- exposé à la culture “occidentale” et qui vient de la classe moyenne ou supérieure.

Maintenant, demandez lui s’il aime South Park, faire la fête comme dans American Pie, des groupes comme Coldplay ou Metallica (je vous laisse trouver les points communs), le film Spring Breakers, prendre de la drogue, le mot fuck ou porter des joggings.

Fort à parier qu’il appréciera grandement un certain nombre de ces éléments.

Maintenant demandez lui s’il peut appliquer à lui même les assertions suivantes:

– Mes parents sont des cons

– Ce que mes parents regardent à la télé est nul

– Ma ville craint

– Personne ne me comprend

– No future

Même chose.

Du coup, comment ne pas vouloir être plus Américain qu’un Américain? Renaître dans une culture amie, oublier ses parents, porter un sweat à capuche barré d’un Limp Bizkit –alors qu’on est à Bombay et qu’il fait 30 degrés ?

Pour des ados un peu rebelles, le truc le plus mainstream à faire est en même temps le plus opposé à la société traditionnelle indienne, c’est-à-dire épouser la culture US.

Entendre d’un ado à la barbe sale affalé sur un canapé « let’s get high bro » à minuit et quart, c’est marrant. Et c’est la victoire du soft power américain.

Vous vous êtes jamais demandé pourquoi on avait fini par savoir qui était Snooki ?

 

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Pôle Emploi et Virginie

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Cher Pôle Emploi,

Je sais que ça part d’un bon sentiment mais

Est-ce que tu sais qui je suis?

Je n’ai pas passé des concours de malades et fait 6 ans d’études pour que

Ces filières sont très respectables mais je crois qu’elles ne conviennent absolument PAS à mon profil

Merci mais non merci.

Des bisous et bonne continuation,

Chloé

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Faire son bonhomme de chemin

L’autre soir j’ai croisé un jeune journaliste français. Il fait un tour du monde. C’est super, il est bien content… mais il y a “une pierre dans son jardin“*: comme plein de jeunes journalistes français, il trouve que ce n’est pas super facile de travailler autrement qu’en faisant autre chose que du journalisme. Jusqu’ici rien de très original. Je lui ai donné tous les trucs qui fonctionnaient pour moi, et je reste cependant convaincue que tout dépend du “déclic“**, du moment où on sait qu’on est journaliste, et que c’est la seule direction dans laquelle aller. Même si Maître Raffarin le dit très bien: “notre route est droite mais la pente est forte“***. Entre les médias qui sont en crise ET qui se ré-inventent, l’explosion des modèles et des références journalistiques, la mort des héros, la bombe atomique, l’histoire du plug anal, et tout ça… Bref: dur dur d’être un journaliste.

Souvent on est hyper innhibé par des gens qui croyant bien faire donne des conseils qui finissent par résonner une peu “tu-vas-t’en-sortir-moi-par-exemple-c’est-vraiment-derrière-moi-je-suis-trop-trop-trop-trop-successful-maintenant-et-tout-est-facile“, ce qui est hautement contre productif. Et je ne parle des journalistes en CDI qui ne t’encouragent carrément pas en parlant de ta carrière comme “il/elle fait ses petits trucs sympas/pointus, et il/elle est content(e)” -à peu près le meilleur moyen de briser l’élan du pigiste précaire.

Je n’ai aucune envie de compter les points, de savoir pourquoi les CDIstes (ou du moins les non-précaires) font ça; et même si savoir pourquoi notre manque de confiance en nous est une force d’inertie quasi-imbattable me plairait bien, ce sera pour une prochaine fois.

En revanche, j’ai trouvé hier une vidéo à regarder pour relativiser le Sort si jamais quelqu’un pour qui tout fonctionne (et tant mieux pour lui!) déprime quelqu’un qui galère – et après la vidéo, on peut même hurler comme un forcené que le monde est vain et que c’est la guerre psychologique des mots :

 

*Courtesy of “Les expressions de l’amicale des profs d’allemand retraitées”

**Autant dire que c’est presque de la magie…

*** Je suis certaine qu’il parlait du monde des médias.

NB: Je soupçonne fortement Raffarin d’être l’auteur de cette vidéo.

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Au turbin

Je lisais ce papier assez perturbant sur la culture du petit boulot étudiant en Angleterre. Tout y est vrai :

  • Oui, il y a davantage de foires à l’emploi dans les pays anglo-saxons, et c’est peut-être mieux organisé
  • Oui, l’idée qu’un étudiant travaille est davantage admise dans ces mêmes pays,
  • Oui, on part du principe qu’il faut davantage protéger les étudiants en France, et leur permettre de se concentrer justement, sur leurs études.

Mais il y a quelque chose qui m’a mise mal à l’aise… Je ne sais pas si c’était les questions un peu lourdingues sur la difficulté de concilier travail et études, ou le côté un peu naïf de l’écriture. J’ai en tous cas réfléchi à ce qu’il en était en Inde.

Je vais schématiser.

En Inde il est relativement rare qu’un étudiant fasse un « petit boulot » à faible valeur intellectuelle ajoutée en parallèle à ses études. Il y a beaucoup de main d’œuvre en général, et les jeunes ayant accès aux études supérieures sont plus souvent ceux qui n’ont pas la nécessité de travailler pour subvenir à leurs besoins, ou à ceux d’un foyer.

En France, de plus en plus de gens ont accès à une formation supérieure. Ils viennent de milieux très variés, et certains ont donc véritablement besoin de travailler en parallèle à leurs études. Ce n’est jamais très bien vu. Les boulots sont d’ailleurs rarement pensés pour les étudiants (flexibilité, périodes de partiels, vacances universitaires,… tout ça est peu pris en compte). On a donc lu de plus en plus ces dernières années des portraits de jeunes obligés de travailler pour pouvoir étudier, mais qui ne pouvaient pas étudier correctement puisqu’ils travaillaient –entre autres histoires sur le logement étudiant, les boursiers, et j’en passe.

Il est possible d’adapter des petits boulots, notamment des boulots de service aux étudiants. Il me semble être une bonne chose que les étudiants travaillent pendant leurs études quand c’est possible. Une société qui donne une place aux étudiants dans le monde du travail est sûrement une société qui permet aux jeunes de se confronter à une activité qu’ils n’exerceront pas plus tard, et éventuellement à des gens qu’ils n’auraient pas côtoyés autrement. Le petit boulot étudiant pourrait être un outil de brassage social.

Pour le moment ce n’est pas encore tout à fait le cas en France, et la problématique de l’accès aux études supérieures et les politiques qui concernent l’enseignement supérieure représente une pente savonneuse qui n’a pas grand chose à faire sur ce blog. En revanche, ce papier de blog du Monde me fait réaliser à quel point bon nombre des Indiens que je connais n’ont aucune expérience même dans des enseignes haut de gamme, dans des fonctions d’assistanat, comme baby-sitter ou je ne sais quoi. Pourtant mes amis n’incarnent pas tout à fait la jeunesse dorée bombayite. Ils sont le plus souvent issus de la classe moyenne urbaine indienne. Leur méconnaissance des corvées de petites mains est souvent liée à une forme de mépris plus ou moins verbalisée.

Ca pose une dynamique de la société indienne – à nuancer, évidemment.

 

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Puisque c’est le dernier jour pour le faire: Happpppppy Diwaliiiiiiii !

2014-10-25 19.04.48

Promenons-nous

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Poker Face

J’ai été à une fête « post-pooja » spécial Diwali… Ah oui parce que je ne vous ai pas dit mais en ce moment c’est la grande fête hindoue de Diwali, un nouvel an dont la célébration dure cinq jours et exige énormément de feux d’artifice et de pétards.

On se retrouve en famille pour rendre hommage à certains dieux, notamment Lakshmi, la déesse de la prospérité (du pognon en somme), on s’offre des cadeaux, on mange des confiseries (généralement du sucre, avec un peu de sucre, avec de la pate de fruits, du sucre puis quelques fruits en coques enrobés de sucre : miam), et on finit par jouer aux cartes ou lancer des pétards partout.

Je passe sur les dizaines de morts chaque année à la fois dans la rue à cause de mèches allumées au mauvais moment, ou sur les usine d’artifices dans lesquelles travaillent des enfants qui s’étouffent, au quotidien. Le résultat c’est que chaque soir ressemble à la scène mythique d’Un Singe en Hiver :

J’ai rejoint un ami qui hébergeait une petite sauterie entre jeunes gens pour Diwali. Ils avaient tous de sompteux habits, salwar-kameez, saree, tenue traditionnelle pundjabi ou « Nehru Jacket » (la veste de costume sans manche et à col mao des hommes) et après les obligations familiales et divines, étaient venus se saouler au gin-sprite, au porto (très à la mode) ou à la bière, en jouant à une version très simplifiée du poker.

A tous les coups on gagne : si tu perds ton argent, ça veut dire que Lakshmi t’a oublié et qu’elle te visitera encore davantage cette année ; mais si tu gagnes aux jeux, alors Lakshmi t’accorde sa protection pour toute l’année : un incitatif parfait pour parier.

Heureusement que je n’ai pas vraiment fait attention à mes comptes alors, dans tous les cas, Lakshmi me veut du bien.

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Film critic

Vous avez vu les affiches de Sex Tape ? Cameron Diaz et Jason Segel veulent retrouver leur vie sexuelle de jeunes gens, ils tournent une sex tape, elle se retrouve sur un cloud : c’est le stress.

Bon, comme je parlais de modernité hier, on y est : sexe, cloud, iPad, revenge porn, YouPorn et tout ce que vous voulez, tout y est.

Le film est bien sorti en Inde, avec à peine plus de quatre minutes censurées. Un de mes sites d’actualité préféré, Scroll, en fait la critique et explique que ce n’est pas parce qu’on parle de YouPorn qu’on est lol.

Qu’on se le dise, en Inde : YouPorn, pimenter ta vie de couple après la naissance de bébé, ou retrouver des vidéos compromettantes sur un cloud : c’est déjà-vu.

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L’enfant roi

En rentrant à l’école de journalisme, le travail de recherche académique m’a un peu manqué… Je me disais que si un jour je reprenais mes études, je plancherais bien sur une problématique des trente glorieuses (comme tous les sujets de thèse résumés, ça aurait pu donner : « Les Francs-Maçons dans les Trente Glorieuses » autant que « L’électroménager dans la France des années 60 »: du fun, du fun, du fun).

Comme des tas de gens, je trouve cette époque passionnante : euphorie et consumérisme, libéralisation et libération, création et abrutissement… Il y a un peu de nostalgie, mais je crois qu’il y a surtout une forme de fascination pour le côté « avance rapide ».

Je retrouve l’élément « vitesse grand V* » à Bombay, où « tout-va-vite-c’est-fou-l’energie-des-gens-dans-cette-ville-bullshit-bullshit-bullshit » ça grouille de partout certes, mais surtout, un nouveau truc est inventé tous les jours. La mode change très vite. Les canons sociétaux sont en pleine mutation, pour de vrai : hier on n’imaginait pas qu’une jeune femme puisse vivre seule, aujourd’hui on loue des apparts à de jeunes indiennes sans (trop) se poser de questions. Evidemment, il faut relativiser ces évolutions rapides de la société : parfois elles sont vraies pour une certaine partie de la population, parfois seulement dans les villes, voire dans certains quartiers de certaines villes (donc en fait ça concerne cinq personnes finalement mais bon, ça dit quelquechose quand même, non?).

Il reste que les choses changent vite : par exemple, c’est le tout début du street art dans le pays. Pour la première fois en fait, il y a une véritable contre-culture, dans la rue, qui se forme en Inde, avec des références cosmopolites mais principalement indiennes. C’est une sorte de Movida indienne en gros, dont l’émergence d’une culture street art (parce que le street art ça existe depuis Lascaux) fait partie.

Bon ça, c’est un exemple. Un autre exemple, « socio-démographique » s’il en est, c’est ce papier.

Quand je pense que quand j’étais petite, j’avais un jeu qui représentait des familles du monde entier, et la famille indienne c’était une ribambelle d’enfants qui travaillaient (au lieu d’aller à l’école : trop de chance les mecs)… ce genre de papier me fait sourire.

Même s’il y a encore des milliers d’enfants des rues à Bombay, de très jeunes personnes qui travaillent dans des usines pourries, de parents qui pensent que le « female foeticide » (avortement sélectif) n’est pas une mauvaise chose, ou simplement qu’à moins de trois enfants, on ne peut pas parler de fratrie, les choses changent en profondeur.

 

*Oh la richesse du monde des synonymes!

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Suis-je un pique-assiette?

Ce soir j’étais au lancement de “Rendez-Vous with French Cinéma” (généralement ils ne se cassent pas trop la tête pour les noms): une opération de l’Institut Français en partenariat avec le festival international du film de Bombay.

Déjà c’est pas simple à expliquer et les forces en présence n’aident pas: il y a le consulat (mais qui en fait n’organise pas vraiment le truc), l’Institut Français qui a envoyé des gens de Delhi: son directeur mais aussi une délégation de personnes chargées du développement audiovisuel (mon royaume à celui qui comprendra quel est exactement le rôle de l’Institut Français, et a fortiori de sa section d’assaut “audiovisuel”), uniFrance – sorte d’officine internationale du cinéma français, une boîte de prod franco-indienne, des réalisateurs et des producteurs français qui viennent pour présenter leurs films et  … Catherine Deneuve.

Beaucoup de gens, beaucoup d’hommes blancs d’une cinquantaine d’années portant un costume sombre: c’est à rêver l’instauration d’étiquette bien visible à coller sur le cœur indiquant clairement un nom et une fonction…

Finalement je n’ai pas compris la moitié du fonctionnement de l’opération (comment la France a-t-elle poussé à l’adaptation de ses films par les studios de Bollywood? Quel est l’intérêt des studios ici ? Comment se passe le travail d’adaptation ? Pourquoi plus les films français que d’autres ? Quelle contrepartie offrent les Français ? Pourquoi autant de monde et autant d’organes semi-publics ? Comment fait-on pour inviter Catherine Deneuve ? Qui paie ?), ni vraiment qui était qui, mais les petites quiches de chez Suzette étaient délicieuses.

Bien malgré moi, et c’est bien triste, je finis par aller dans ce genre de surboum pour les buffets mirifiques. On ne peut jamais y travailler. On ne s’y dit jamais rien d’important. Autant profiter des macarons (carrément niveau Pierre Hermé)?

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