From the shtetl to Brooklyn to Bandra

Je vous écris depuis Suzette, le café le plus français de Bombay. J’ai l’impression que j’en parle pour la millième fois, mais pour ceux qui ont raté un épisode, c’est une crêperie lancée par trois Gaulois dans la ville. Ils ont deux antennes, sont la coqueluche des stars de Bollywood et des profs de fitness (il y a du kale à la carte), et produisent leur propre caramel. Vous voyez un peu mieux le genre.

Je suis là ce matin pour profiter de leur latte – le meilleur de l’univers connu. Je viens aussi pour travailler car je trouve l’endroit inspirant – mais il y a toujours quelqu’un qui vient te raconter sa vie -comme c’est souvent passionnant, difficile d’y être très productif, mais en meme temps: entertainment assuré.

Ce matin ce n’est pas tellement les mondanités qui me distraient, mais les gens à la table à côté de moi. Il y a une Afro-américaine (comme on dit), un Indien végétarien (ou appelons le comme ça dans le doute), un Indien qui lit une anthologie de Woody Allen, et un vrai Américain – un touriste ou presque. Ils ont une petite quarantaine d’années -à la louche, et ils ont tout du stéréotype.

Je pourrais jouer au Bobo Bingo en cochant toutes les cases qu’ils remplissent : la meuf fait un régime hyper protéiné, ils ont déjà réussi à parler de cinéma indépendant, de légumes bio, du dernier discours d’Obama sur l’état de l’Union, et de leurs petits plans pour le weekend à Alibaug (la retraite -chic et plouc, c’est-à-dire exactement comme peuvent etre les Hamptons- juste en bord de mer et pas trop loin de Bombay).

Même leurs blagues sont ultimement bobos : « Ah tu viens de Madrid ! C’est une belle ville, on peut dire ce qu’on veut des fascistes, mais ce sont de bons architectes ! » – ahahaha*

Les iPads (il y en a deux sur la table) ont une couverture d’un joli cuir patiné. Le Caucasien en goguette raconte comment il a décidé de ne plus avoir d’appartement fixe et de travailler en voyageant. Et surtout de: “slow down“.

Le végétarien porte une chemise en lin blanc impeccablement bien coupée. Il parle de sa nouvelle routine sportive, un mélange de yoga et de cardio si je comprends bien, un miracle inventé par sa nouvelle coach (« pas juste un gourou, c’est vraiment un génie »). Sa femme lui répond que ce sera compliqué de tenir le rythme avec tous les voyages dans les six prochains mois (Australie, Europe, Singapour, US, Bali, puis US à nouveau**). Le lecteur de Woody Allen prend note dans son Moleskine (véridique), nettoie ses lunettes en écaille. Il a un accent typiquement (mais peut-être aussi faussement?) new-yorkais même s’il sonne comme quelqu’un qui vit à Bombay depuis un moment. Il montre ses notes dans le gros volume écorné au portrait tout seventies de Woody Allen. Je n’attends pas 10 minutes et… CE MEC VIENT DE PRONONCER LE MOT KVETCH. Oui, je suis à Bombay, et il y a un mec qui vient d’utiliser un emblème du vocabulaire yiddish intello américain.

C’est un moment “typiquement Bombay” – en tous cas, typique de ma vision de Bombay, ou meme d’une certaine vision de Bombay- : des citoyens du monde qui parle de tout et de rien, avec de l’argot yiddish et un peu d’hindi, des références à Los Angeles autant qu’à la vieille Europe ou à Hong Kong, de l’argent et de la conscience, des intellos qui font attention à leurs abdos… Enfin pas tous, il y a quand même deux gros. Des scènes qui montrent que Bombay est un bien une ville cosmopolite et dans le coup. Même si ce n’est pas toujours évident.

Bref, je vais arrêter de les écouter en mode sous-marin et me remettre à travailler…

 

 

* Une réplique tirée du best-seller mondial Comment faire de l’esprit et un soupçon de provocation à peu de frais

** Et le bilan carbone!? Ils sont fous ces gens.

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Vos papiers s’il vous plait

Ma prof d’hindi est en réalité avocate. Elle travaillait depuis un moment au Canada quand elle a eu un problème administratif et n’a pas pu renouveler son visa.

Du coup, elle est coincée à Bombay.

Bon, jusqu’ici l’histoire n’est pas plus intéressante que ça, surtout quand l’immigration pour moi et pour beaucoup s’incarne davantage dans Sangatte et Lampedusa.

En discutant avec elle –les problèmes de visa créent des liens- je me suis rendue compte que son véritable souci c’était son passeport. Qu’a-t-il de problématique ? Il est indien.

L’immense majorité des pays demande aux ressortissants indiens un visa pour entrer sur leur territoire. Bien souvent, les conditions d’obtention de ce visa sont corsées. Et donc c’est bien ennuyeux pour une jeunesse cosmopolite mumbaikare qui a des amis à travers le monde mais pour qui le visa peut coûter aussi cher qu’un billet d’avion, et le temps pour l’obtenir sembler toujours trop long.

C’est agaçant. Et comme d’habitude, ça a l’air injuste et/ou d’appartenir à des dynamiques qui nous dépassent. Certes les flux migratoires posent un ensemble de questions au XXIème siècle. En même temps, n’est-il pas étrange d’avoir toujours besoin de visa, de bout de papier, de lettres de créance, pour visiter un pays au XXIème siècle – le siècle de la mobilité? Est-on tous égaux devant les guichets des ambassades?

Je n’ai pas de réponse, mais je trouve tout ça très “shady“, on dirait presque que la mondialisation rencontre le monde des Croisés. Un choc culturel mais surtout temporel.

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Junk & Flash

Ce weekend en passant près d’une église de mon quartier j’ai remarqué un petit bureau derrière la sacristie. C’est le bureau d’un conseiller en addictologie. En dehors de cette proximité entre la foi et la drogue, ce que je remarque surtout c’est que les drogués qui sont sur la plaquette d’informations scotchée à la porte sont tous… caucasiens.

CRouveyrolles

Arrière homme blanc !?

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Les enfants de la patrie

Hier soir j’ai reçu dans le mail du consulat de France* les résultats des élections européennes pour le bureau de Bombay. Ca pourrait être plus brillant en matière de participation.

Sur 87 votants, 9 ont choisi le Front National. Je me demande s’il y avait parmi eux le couple qui a voté juste après moi au consulat le weekend dernier. Le débardeur en coton distendu de madame et le pantacourt sable de monsieur peuvent-ils être considérés comme des indices? Ils ont fait mine de ne pas vouloir entrer dans l’isoloir pour mettre leur bulletin dans l’enveloppe (les rebelles), mais je n’ai malheureusement pas suivi avec attention l’affaire.

Je me demande pourquoi exactement des Français établis hors du pays pourraient se sentir proches du Front National. Je ne juge pas, je me demande juste. Si j’en attrape un, je le cuisine et vous le livre ici.

* A chaque fois, ce mail est une joie. J’y lis les mots du Consul général de France à Bombay, Jean-Raphaël Peytregnet, qui parle de la France comme mon père, avec une élégance discrète et un peu surannée, et qui surtout ne dit jamais de conneries sur l’Inde contrairement à un paquet de Français installés ici.

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Complainte

Donc hier c’était les élections européennes, et aussi les élections des conseillers consulaires mais ça, personne ne sait vraiment à quoi ça sert.

Hier donc, se sont déversés sur facebook des torrents de commentaires mous et couinant. La palme va à « j’ai honte » et ses variantes.

A moins que ce «  j’ai honte » ne soit suivi d’un « de ne pas avoir été voter », je ne vois pas trop à quoi il sert lui non plus (rapport aux conseillers consulaires, pour ceux qui ne suivent pas).

J’ai trouvé tout cet exercice de slacktivisme complètement gerbant. Comme si un statut facebook ou un tweet pouvait changer les choses ?! Je trouve vraiment effrayant qu’on s’achète une conscience à si peu de frais. Alors que je fulminais, j’ai réalisé que moi aussi je m’énervais toute seule derrière mon écran , et que la réaction constructive consisterait à écrire à tous les mous du genou qui se plaignaient de la poussée du FN pour leur dire: ” si vraiment tu trouves ça affreux, peut-être faut-il t’engager”, mais l’océan de l’idiotie était trop vaste: j’ai à peine pu commencer mon oeuvre de prêche.

Je me demande bien ce qu’il a pu advenir de la génération des “Indignés”. En fait je trouvais les mecs d’ Occupy Wall Street ridicules, mais ils l’étaient sûrement moins que la bande de bras cassés qui se tournent les pouces en geignant dans l’hexagone.

 

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Nos amis les bataves

Ce week-end une Hollandaise et une Allemande sont chez moi. Je suis pour la paix –au moins- entre les peuples européens.

Elles sont toutes les deux blondes. L’Allemande a un look d’intello et des réflexions parfois trash ou plouc. La Hollandaise est bronzée et gironde, et elle n’est pas tout à fait ok avec la culture des émigrés maghrébins aux Pays-Bas. Elles sont donc au moins ce que leurs nationalités promettent.

J’ai rencontré cette Hollandais au festival Ragasthan. Elle était super bright et toujours bien maquillée au milieu des fêtards qui se renversaient du coca dans les oreilles pour des raisons non identifiées à ce jour.

CRouveyrolles

 

Elle veut ouvrir un espace d’art, avec une dynamique communautaire, et qui vendrait des snacks hollandais à New Delhi. Au départ j’ai donc cru que c’était une hippy. Mais en fait, elle est plutôt cool. J’ai aussi une certaine admiration pour elle car elle boit plus d’une bouteille d’Old Monk, le rhum national, par semaine, et je trouve ça super balèze car il est très possible qu’inhaler seulement les vapeurs se dégageant de ce liquide rende épileptique et/ou aveugle.

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