J’ai travaillé sur ce portrait de starlette avec un trentenaire qui a sa propre boite de production à Bombay, et qui aime beaucoup Doc Gynéco –j’espère découvrir qu’il n’est pas le seul Indien dans ce cas pour pouvoir faire un article sur ce sujet déroutant.
On a beaucoup parlé pendant les longues heures d’attente imposées par le tournage, une caméra cassée, des coupures d’éléctricité etc. C’était très instructif.
Ce mec a donc monté sa boite, il réalise aujourd’hui des films publicitaires –y compris avec des célébrités de premier plan et/ou pour de grandes marques nationales. Son père a monté une agence de voyage. Pour des raisons qui m’échappent, il est très difficile de réserver par soi-même des billets de trains en Inde, et plus généralement, les Indiens sont assez friands de visites organisées, donc le business est florissant. L’homme avec qui j’ai travaillé a passé quelques années à New York où il a étudié, puis il est rentré en Inde où il a travaillé à la télévision, avant d’avoir sa propre affaire. Il a de l’expérience et il est passionné par ce qu’il fait puisqu’il m’a même dit qu’il ne se voyait pas faire autre chose, et que peu importent les difficultés qu’il avait rencontrées, il n’avait jamais eu envie d’abandonner.
Vous avez maintenant une idée assez précise du tableau. Ce qui est étonnant, c’est que plus son père vieillit, plus notre homme se demande quand il reprendra l’agence de voyage. Je lui ai demandé si ses motivations étaient financières, il m’a répondu que non, mais qu’il ne peut pas laisser ce que son père a construit s’effondrer.
Pour résumer… Le mec aime ce qu’il fait, peut en vivre, n’a aucun intérêt, aucune aptitude à gérer une agence de voyage, mais il va le faire pour plaire à ses parents et/ou respecter leur oeuvre. Je marche sur des oeufs mais je pense qu’on peut dire qu’il va renoncer à sa carrière pour accomplir une sorte de destinée familiale.
L’organisation de la société indienne est très centrée sur la famille, ce n’est pas nouveau. La révolution post-moderne de l’individualisme est en marche ici, surtout dans une grande ville cosmopolite et riche comme Bombay, mais je réalise seulement maintenant la lenteur du processus.
Il m’a dit qu’il ne voudrait pas que son fils prenne la même décision que lui, mais qu’en ce qui le concernait, même s’il ne pouvait vraiment expliquer rationnellement son choix, il sentait que c’était la bonne chose à faire. Comme une sorte d’impératif qui le dépasse. Je ne juge absolument pas ce mec, mais je suis fascinée par ce côté « forces gouvernantes supérieures ».
On peut parler de Doc Gynéco et de rap français et sentir une proximité insoupçonnée. Et puis sans qu’on s’y attende, les plaques tectoniques culturelles se mettent en branle, et quelque chose de très palpable nous différencie.