C’est clean

Récemment je parlais avec un Autrichien très brillant qui a passé beaucoup de temps dans l’Inde rurale. Il me confiant qu’il était bien étonné de la question de la pollution dans ces zones.

Comme ailleurs en Inde : papiers gras, vieux lacets, ou pots de yaourt sont abandonnés dans des no man’s land consacrés et personne n’y trouve rien à redire.

On se disait que dans nos pays européens, si certains jetaient encore souvent des mégots, ou même des papiers par la fenêtre de leur voiture (par exemple), un gros tas d’ordure en pleine nature était généralement choquant.

Mais ici pas vraiment. On ne peut pas dire que les villageois sont contents, mais on ne peut pas dire que les mini-décharges improvisées les « dérangent ».

Dans combien de temps et comment la situation changera-t-elle ? Quelle place dans un débat « nature-culture » les perceptions sociétales de la pollution occupent-elles ?

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Old Bombay

Je ne peux toujours pas me résoudre à parler de ce qui se passe en France en ce moment. Je suis noyée dans un torrent d’informations et j’ai besoin de prendre le temps de réfléchir avant d’écrire des bêtises que je serais tentée de désavouer moins de deux heures après.

Hier soir j’ai été à la « veillée » de Charlie à Bombay. Je pensais que ce serait intéressant de parler avec les gens –expats ou Indiens. Mais quand je suis arrivée, j’ai juste eu trop les boules. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’avais franchement un cafard monumental. Je laisse décanter pour ne pas participer au brouhaha émotionnel et pas toujours très intelligent qui se répand sur les Internet.

Je préfère vous parler d’un chocolat chaud à 9000 calories que j’ai pris l’autre jour dans le Sud de la ville avec un jeune homme qui porte beau. C’est un jeune réalisateur de Bombay –de SoBo, pour être exacte. Il porte des lunettes cerclées d’écaille sombre, une houppette frisotante, et souvent, des vêtements pastel –des bermudas repassés ou des chemisettes en zéphyr au col savamment négligé. J’aime son style si réfléchi sans en faire trop. On ne peut pas tous prendre le temps d’être aussi élégant tous les jours, mais on devrait tous connaître quelqu’un qui nous procure l’immense joie visuelle d’un ensemble si ce n’est parfait, au moins inspiré.

Bref, je parle avec le réalisateur dans ce petit café des hipsters de SoBo devant une tasse de chocolat chaud aussi épais, dense et adipeux que la cuisse de Honey Boo Boo. Il me dit cette drôle de phrase : « Le problème aujourd’hui c’est que l’argent n’est plus l’apanage des riches à Bombay ». Je comprends qu’il aurait tout aussi pu dire que les élites ne se distinguent plus seulement par l’argent. S’en suit une conversation tout droit sorti d’un roman de Balzac : façon qui de la bourgeoisie peut daigner se mêler à l’aristocratie. On est très loin en revanche des rhétoriques plus indiennes du type « les Brahmanes sont plus puissants que les autres castes », ou « les Marathis devraient être les maitres de la ville » dont les hommes politiques locaux et beaucoup de leurs fidèles se gargarisent des salles de réception des hôtels cinq étoiles aux allées encombrées des bidonvilles.

Nous parlons aussi de la scène culturelle parfois décevante de la ville, et concluons que c’est grâce à des béotiens, des « wannabe artistes », qu’il y a tant de dynamiques et d’envies de faire des festivals, des conférences, des petits films ou des expositions. Malheureusement, la qualité de ces produits ne dépasse pas toujours le niveau qualitatif bac-à-sable, mais il semble juste de saluer des initiatives bien plus nombreuses qu’ailleurs.

Nous marchons ensemble vers la station de train Churchgate, il fait déjà nuit. Sur une très grande pelouse, la Oval maidan, des silhouettes sombres se cherchent. C’est un spot de cruising gay très apprécié des marins – le port n’est pas (trop) loin. La lumière jaune des réverbères crado donne à tous les passants des airs de bandits mexicains. Les immeubles, jadis joyaux d’architecture Art déco ou simplement coloniale, sont décrépis, noirs, sales, sublimes, romantiques. « J’adore ces vieux bâtiments, le sud de la ville c’est vraiment l’essence de Bombay, avant le capitalisme décomplexé, juste une époque de glamour prospère » me dit-il en travaillant délicatement sa houppette avec ses doigts manucurés.

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Allo Stendhal

Hier matin, très tôt, top tôt, un couple de Tel Aviv est arrivé dans notre appartement.

 

On était au courant, hein.

Ils commencent un voyage de deux semaines en Inde.

Ils avaient plein de question sur les Indiens, le pays, les us et coutumes etc. On se posait cette question fondamentale : est-on dépaysé dans ce pays ?

Je ne veux pas la ramener mais pour moi le dépaysement est un terme très stendhalien. Et du coup, je ne crois pas vraiment qu’on puisse être profondément dépaysé aujourd’hui. On voit tellement d’images d’un endroit, on a une représentation de tout, et généralement, c’est assez peu éloigné de ce qu’on rencontre sur place au premier coup d’œil. Ensuite rapidement, on trouve ses marques et/ou on a des clés de compréhension d’une culture (au moins celles du Lonely Planet).

Donc je reste sceptique sur le « choc » que l’Inde serait supposée susciter. On peut mal comprendre ce dont on est témoin mais rien n’est tout à fait inabordable.

Ensuite c’est souvent un effet d’échelle : la misère, par exemple, s’incarne dans des motifs qui sont assez familiers : des gens qui dorment dans la rue, des mendiants, des enfants des rues, etc. Mais ça, d’une part on s’y attend en venant en Inde, d’autre part on en voit aussi (mais moins) à Tel Aviv, Paris, New York ou Strasbourg.

C’est marquant mais ce n’est pas vraiment un choc comme si on voyait tout le monde marcher sur les mains.

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Old MacDonald had a farm

L’autre soir j’ai pris un jus d’orange (sans déconner) avec un grand ponte du monde des news : un ancien de Reuters. Il travaille aujourd’hui sur une source d’informations pour les cultivateurs indiens –qui leur permet surtout de vendre au prix du marché ce qu’ils récoltent.

Dans la plupart des ouvrages consacrés à l’Inde, la tarte à la crème des universitaires consiste, à l’aide de « typologies » façon étude de cas, à montrer que le pays est « une-terre-de-contrastes ». Je trouve que ce genre de phrase est toujours à moitié débile. Finalement, ça revient à dire : « ce n’est pas partout pareil ». Breaking news.

Je dois avouer néanmoins que, même si c’est rageant, l’assertion se vérifie très souvent.

 

Ce fameux journaliste me disait qu’il avait assisté à une sorte de foire de matériel agricole durant laquelle il avait conduit une étude de marché de son audience. Il s’est avéré que 37% des exploitants terriens possédaient un smartphone.

Pourtant on a toujours tôt fait de voir les campagnes indiennes comme des « greniers-à-blé » (tarte à la crème #2), reculés et sous-développés autant humainement qu’économiquement. Il y a cette image du fermier analphabète qui n’a jamais utilisé un téléphone (même fixe), qui est pris à la gorge par les dettes contractées auprès de Monsanto et compagnie, et qui finira par se suicider à l’engrais.

 

Mais pas du tout finalement.

C’est vrai que la révolution verte pour une auto suffisance alimentaire a eu des conséquences assez dramatiques sur les sols –dans l’ensemble-, ce qui a pour conséquence aujourd’hui que les cultures sont moins rentables, et donc que les agriculteurs gagnent moins, voire pas, d’argent –je schématise. C’est aussi vrai que l’illétrisme concerne –à la louche- 60% des Indiens, mais les exploitants terriens ne sont pas tous comme ça, et finalement nombreux sont « connectés ». Je serais curieuse d’avoir des chiffres similaires pour la France…

En fait plus que “terre de contrastes”, il faudrait qualifier l’Inde de source infinie de surprises -et parfois d’incompréhension.

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Cross-cultures

J’ai travaillé sur ce portrait de starlette avec un trentenaire qui a sa propre boite de production à Bombay, et qui aime beaucoup Doc Gynéco –j’espère découvrir qu’il n’est pas le seul Indien dans ce cas pour pouvoir faire un article sur ce sujet déroutant.

On a beaucoup parlé pendant les longues heures d’attente imposées par le tournage, une caméra cassée, des coupures d’éléctricité etc. C’était très instructif.

Ce mec a donc monté sa boite, il réalise aujourd’hui des films publicitaires –y compris avec des célébrités de premier plan et/ou pour de grandes marques nationales. Son père a monté une agence de voyage. Pour des raisons qui m’échappent, il est très difficile de réserver par soi-même des billets de trains en Inde, et plus généralement, les Indiens sont assez friands de visites organisées, donc le business est florissant. L’homme avec qui j’ai travaillé a passé quelques années à New York où il a étudié, puis il est rentré en Inde où il a travaillé à la télévision, avant d’avoir sa propre affaire. Il a de l’expérience et il est passionné par ce qu’il fait puisqu’il m’a même dit qu’il ne se voyait pas faire autre chose, et que peu importent les difficultés qu’il avait rencontrées, il n’avait jamais eu envie d’abandonner.

Vous avez maintenant une idée assez précise du tableau. Ce qui est étonnant, c’est que plus son père vieillit, plus notre homme se demande quand il reprendra l’agence de voyage. Je lui ai demandé si ses motivations étaient financières, il m’a répondu que non, mais qu’il ne peut pas laisser ce que son père a construit s’effondrer.

Pour résumer… Le mec aime ce qu’il fait, peut en vivre, n’a aucun intérêt, aucune aptitude à gérer une agence de voyage, mais il va le faire pour plaire à ses parents et/ou respecter leur oeuvre. Je marche sur des oeufs mais je pense qu’on peut dire qu’il va renoncer à sa carrière pour accomplir une sorte de destinée familiale.

L’organisation de la société indienne est très centrée sur la famille, ce n’est pas nouveau. La révolution post-moderne de l’individualisme est en marche ici, surtout dans une grande ville cosmopolite et riche comme Bombay, mais je réalise seulement maintenant la lenteur du processus.

Il m’a dit qu’il ne voudrait pas que son fils prenne la même décision que lui, mais qu’en ce qui le concernait, même s’il ne pouvait vraiment expliquer rationnellement son choix, il sentait que c’était la bonne chose à faire. Comme une sorte d’impératif qui le dépasse. Je ne juge absolument pas ce mec, mais je suis fascinée par ce côté « forces gouvernantes supérieures ».

On peut parler de Doc Gynéco et de rap français et sentir une proximité insoupçonnée. Et puis sans qu’on s’y attende, les plaques tectoniques culturelles se mettent en branle, et quelque chose de très palpable nous différencie.

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Mais pas avec tout le monde

La morale de l’histoire que je m’en vais vous conter est bien connue: “on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde“. C’est à se demander pourquoi écrire aujourd’hui alors que Pierre Desproges a tout inventé, mais enfin.

L’autre soir on a fait un truc complètement réac, on a invité des gens à dîner. Comme dans la France de VGE, on a bavardé avec un couple et on leur a dit « ah-c’était-vraiment-super-de-vous-rencontrer-venez-dîner-à-la-maison-un-de-ces-soirs ».  Et ils l’ont fait, ces idiots.

Je crois que le fait d’être français pousse à vouloir s’inventer Masterchef à Toque d’Or une fois hors de l’hexagone –alors qu’en fait, faire une quiche, quand il faut faire la pâte soi-même c’est un affreux pensum.

Enfin, c’est fait. Et c’était même un peu plus rock’n’roll surprenant que prévu puisqu’environ 80% de la conversation a porté sur la cuisine à base de sperme et de lait maternel.

Au détour de la conversation, je prends une précaution oratoire en citant le point Godwin. J’ai été très étonnée de voir que mes interlocuteurs, Australiens, ne connaissaient pas cette théorie des années 90 que MÊME MON PERE CONNAIT.

Pleine de générosité, je leur explique le principe de la théorie. Là, surprise : ils ne comprennent pas. Les deux sont pourtant facétieux, un brin potache, très connectés… Non seulement ils ne comprennent pas vraiment la théorie, mais en plus ils prennent un air assez consternés par l’existence d’un tel phénomène, et insistent : « Comment quelqu’un pourrait-il traiter une autre personne de nazi ? C’est grave ».

Mystérieux…

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Jane Fonda en Inde

Je lisais aujourd’hui une revue que je trouve de très grande qualité, Schnock pour ne pas la nommer. C’est un titre nostalgique et pour cette seule raison, tout à fait dans l’air du temps.

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Dans ses pages, on trouve la réédition d’une interview de Paul Gégauff, scénariste des plus grands réalisateurs français des années 60. L’interview a été publiée en janvier 1971 dans Lui.

Voici ce qui retint mon attention. Il parle de Jane Fonda.

« Moi je crois que c’est un voyage aux Indes où elle partit découvrir la Sagesse qui lui a tourné la tête comme à tant d’esprits peu solides. Pour avoir trop attaqué l’art pour l’art, et les études classiques, nous vivons une époque d’exotisme de pacotille encore bien plus conventionnelle et dont l’Inde mal comprise semble être le symbole vivant. Au fond la culture qui, je le reconnais, est un luxe et par définition ne sert à rien est néanmoins utile à quelque chose : à ne pas être dupe. C’est elle et non l’intelligence qui nous met à l’abri des innombrables snobismes du temps, qui sont ce que le monde était à Dieu. J’en veux pour preuve beaucoup de chanteurs pop, les philosophes à la mode, les disciples du « Che » et Jane elle-même qui, il y a un an me dit sans rire au cours d’un dîner : « Tu vas au Népal, j’en viens, ne manque pas d’aller voir de ma part le Chili Lama, à Bodnat, un Sage parmi les Sages. Si tu es respectueux, s’il découvre en toi l’Etincelle, il fera de toi un autre être. »

Cette dernière perspective ne m’enchantait pas tellement, pourtant je rendis visite au saint homme, entre deux prises de gandja, dans un monastère au milieu des montagnes. Il était en train de compter ses dollars qu’il fourra prestement dans sa robe. Salamalecs de part et d’autre. Il me proposa tout ce que je pouvais désirer : tapis anciens, opium, bouddhas du Tibet. Le plus drôle c’est que, le surlendemain, il se retrouvait  en tôle pour trafic d’influence, vol d’objets sacrés, assassinat d’un chauffeur de taxi nommé d’ailleurs Takmar. Ah ! Il y aurait beaucoup à dire sur les hippies qui commençaient à entourer Jane et qu’elle trouvait géniaux pourvu qu’ils se promenassent avec une omelette sur la tête. Je ne désapprouve pas leur manière de vivre ; je suis pour la liberté et ne leur reproche au contraire qu’une seule chose, toujours la même chose, c’est un vieux refrain : le formalisme, la timidité. »

Je passe sur les considérations sociologico-n’importe quoi. Mais je me demandais si cette vision de l’Inde qui fleure bon le quartier latin, les chemises (florales) ajustées, et les idéaux grandiloquents,  est forcément présente à l’esprit des Occidentaux qui posent leur valise ici ?

CRouveyrolles 2013-12-19 16.51.54

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